Cela fait maintenant quelques mois que je vis à New York, que je tente de me reconstruire peu à peu. Mais à vrai dire, ça ne marche pas très bien. C'est même plutôt un échec. En réalité, depuis mon arrivée, j'ai complètement pété les plombs. Je passe mes journées à bosser, parce qu'il le faut bien, dans ce maudit burger king -lieu où les gens sont tellement antipathiques qu'ils viendront hanter vos cauchemars-, pour terminer mes soirées dans la froideur maussade de mes pensées, s'élevant sans relâche vers ceux que j'ai perdus, et ceux que j'ai laissés.

Je ne me pardonne pas encore tout ça, et j'ai encore du mal à réaliser ce qui s'est passé, j'ai du mal à me dire que je ne les reverrai plus, ou encore que j'ai blessé certaines personnes. Et pourtant c'est le cas...

Serrant mon verre d'une main tremblante, mes mâchoires se crispèrent , avant que je sois moi-même surpris par ce vacarme: de rage, je venais de lancer mon verre de toutes mes forces contre l'un ou l'autre des murs de mon appartement. Une maigre larme coula de mes yeux pourtant secs, avant que je ne me décide à ramasser tout ça, et que je me fasse une promesse: celle de retrouver Beth.

Pourquoi tu l'as laissée ? T'es rien sans elle. elle n'avait pas tort, la petite voix dans le fond de mon crâne. Je n'étais rien sans Beth. Mais j'avais peur. Je n'étais et ne suis toujours qu'un enfant face à elle. Sauf que l'enfant, il a pris peur, en voyant l'horreur se jouer sous ses yeux. Et les idées totalement emportées par la rage, l'incompréhension, la peur... il est parti, sans donner de nouvelles.

Là, je me suis retrouvé à la chercher, je ne sais pas vraiment pourquoi. Après tout, si je la trouvais, qu'est ce qui allait se passer ensuite ? curieusement, je n'étais pas convaincu que venir la voir serait la meilleure idée au monde.

Et pourtant. Ayant trouvé son adresse, ça fait maintenant quelques jours qu'il m'arrive de venir devant chez elle. Pas pour la stalker, non. Juste parce que... parce qu'en réalité, je meurs d'envie de frapper à sa porte. Mais comme souvent, je me dégonfle.

Tentant de ne plus penser à tout ça, je décide d'aller chercher un paquet de cigarettes, en ville. Mains dans les poches, poches sous les yeux, et t-shirt walking dead, je dois avoir un air patibulaire certain. Mais je m'en fiche. Au fond, je suis un inconnu ici. Je n'ai pas de nom, pour les milliers de gens se pressant dans la rue.


Sortant du bureau de tabac, les yeux rivés sur mon portefeuille où je range ma monnaie, puis, quelques secondes plus tard, sur mes cigarettes et mon briquet que je galère à allumer tout en marchant, je reste bien con, lorsque je me cogne au dos d'une jeune femme, accompagnée de son chien. Prêtant un peu plus attention, je constate que...

- Bordel de merde...


C'est impossible. Je dois avoir fait un truc abominable au bon dieu, pour qu'il me presse dans mes plans. Cette jeune femme, c'est Beth !

Bon sang. Y'avait bien une chance sur dix milliards que je tombe sur elle. Et pourtant, j'avais réussi ce tour de force. Avouez quand même que j'ai la poisse ! Bon, ok, c'est plus un secret pour personne, mais même moi même, là, je m'étonne, je fais fort !

En réalité, je ne suis pas mécontent de la voir. Je suis juste terrifié. Oui, c'est ça, j'ai peur. Peur de la suite, peur du bris de vaisselle sans vaisselle -bah oui, on est dans la rue, suivez, un peu !- peur de la giffle, du "j'veux plus jamais te revoir"... Et pourtant, dieu seul sait au combien elle aurait raison. Mais de toutes façons, ce qui est fait est fait, n'est ce pas ? Je ne peux pas changer le passé. J'ai fait ce que j'avais cru être le mieux à l'époque, mais malheureusement, je me suis planté. Tout ce qui importait à ce moment là était de sauver mes fesses. Certains me traiteront de connard narcissique. Non, pas le moins du monde. Dieu seul sait comme je suis tout l'inverse. En revanche, je suis humain. Et tout comme mes congénères, je fais des erreurs.

Passant une main sur ma nuque, inutile de faire remarquer à quel point je suis gêné. Il est vrai que j'avais voulu lui parler. Que j'étais resté un bon moment devant sa porte plusieurs fois, sans oser y frapper, de peur de me manger un refus. Aussi vrai que je me répétais qu'il fallait que je me laisse le temps. Mais malgré tout, le temps, il en a décidé autrement. Oui, il s'est dit que finalement, ce serait marrant de me voir galérer comme un con, devant Beth. A bredouiller des excuses, en priant pour qu'elle comprenne, pour tenter de me faire pardonner l'impardonnable. Non... vraiment, il y a peu de chances pour que je sorte vivant de ce merdier. Et pourtant. Je suis là, face à mes erreurs, les mêmes que je veux réparer depuis bientôt quelques mois. Il est peut-être temps de prendre le dessus sur la trouille, maintenant !

Me demandant comment m'y prendre, je mordille légèrement ma lèvre inférieure, avant de demander à la jeune femme, recrachant la fumée de ma cigarette de sorte qu'elle ne la prenne pas en pleine poire :

- Je... Désolé de t'avoir bousculé je... je...

Je soupire un bon coup, afin de garder la tête froide et me remettre les idées en place:

- C'est possible de... parler ?

C'est impossible. Je dois avoir fait un truc abominable au bon dieu, pour qu'il me presse dans mes plans. Cette jeune femme, c'est Beth !

Quel crétin.

Non mais bon sang, qu'est ce que je croyais, au juste ? Que ça allait se passer comme sur des roulettes ? Qu'elle allait me sauter au cou, et que je pourrais crier que la vie, c'est merveilleux, que le malheur ça se fait plus, et qu'enfin, je pourrais me croire dans l'un de ces films où Hugh Grant ou Ryan Reynolds, à la fin, chopent Sandra Bullock sous le regard médusé de bandes à part ?  Non. La vie n'est pas une de ces comédies stupides, je ne le sais que trop bien ! Et pour réparer mes erreurs, aussi grosses soient elles, je suis prêt à tout, même à payer le prix fort ! , ou que je doive passer par des choses éprouvantes... et d'ailleurs, Beth me fait redescendre assez violemment sur Terre, en me faisant réaliser quel salaud j'ai pu être. Comme si je ne me le reprochais pas assez, tiens ! Je me mords la langue, souffle le plus discrètement possible afin de calmer l'angoisse qui me gagne peu à peu, et parviens, tant bien que mal, à lui lacher quelques mots, tentant de trouver les paroles les plus justes possibles...

- Ecoutes... tu te trompes. Je n'ai jamais voulu ça... je... je ne voulais pas te faire souffrir, j'ai pas voulu te fuir, ou fuir une quelconque conversation, je... non. J'aurais aimé parler avec toi. Mais je me sentais lâche. Faible, Fragile. Et je ne voulais pas t'infliger ça. Parce que la lâcheté rend moche. Con. Méchant. Et je ne voulais pas que tu aies cette image de moi.

Mes mots se bloquent dans ma gorge, m'empêchant de continuer. J'ai les larmes aux yeux et envie d'être ailleurs, quelques mois plus tôt, avant cet enfer. Insouciant. Amoureux comme jamais.

Tirant nerveusement sur ma cigarette, je lui propose enfin:

- Euhm... j'crois que c'est pas le meilleur endroit pour parler, alors... que dis tu de le faire devant un café ? ou... un autre jour ? Je ne veux pas que tu aies l'impression que je veuille te forcer à quoi que ce soit. C'est pas le cas! Alors... faut que t'en aies envie aussi. Enfin... tu vois ?

Putain, non mais c'est pas vrai, quel con ! L'art et la manière de mettre les pieds dans le plat. On dirait que ce concept a bel et bien été inventé par moi, tiens.
Face à une Beth furieuse après moi – et en même temps, j'ai bien envie de demander comment il pourrait en être autrement-, je tente de trouver les mots, de rester calme. Mais la petite voix en moi crie. Elle lui hurle au combien je suis désolé. Une autre partie de moi, même, pleure. Si elle savait combien je me suis détesté lorsque je suis parti sans rien lui dire ! Pourtant, c'était la seule solution que je voyais à l'époque. J'avais besoin de me reconstruire, de voir l'enfer avant de m'apperçevoir que je pouvais finalement reconstruire quelque chose de solide, une fois sorti de là. Et il fallait que je le fasse seul. Bien evidemment, c'était dur, sans elle. Et ça l'est toujours. Mais je ne voulais pas qu'elle aie l'image abominable du Raph que je suis devenu, après ces évènements. Du Raph dont je rêve de me débarrasser. Hors de question qu'elle me voit cynique, irascible, alcoolique. Je ne peux pas lui infliger tout ça. Hésitant, je parviens malgré tout à balbutier :

- Ecoutes… je ne te demande pas de me pardonner, je sais que ce que j'ai fait n'est pas pardonnable. Mais… laisse moi t'expliquer. S'il te plait…

Plus aucun mot ne veut sortir. J'ai tellement mal au coeur, que je ne parviens plus à articuler. Pourtant… je sais bien qu'il va falloir que je vide mon sac, si je veux qu'elle me donne une seconde chance.Et j'espère de tout mon coeur qu'elle voudra bien m'écouter.

Dans un soupire, je continue de marcher vers le café, et lui lance, toujours aussi hésitant, mais essayant de rattraper ma maladresse de départ :

- Bien sur,que je sais que tu me l'aurais dit si tu n'en avais pas envie. Mais… je ne veux pas te blesser, te heurter ou que sais-je encore. Je l'ai bien trop fait par mes actes… ou plutôt non, parce que je ne n'ai pas fait. Et crois moi, j'en suis désolé. Du fond du coeur. J'aurais aimé t'expliquer, te parler. Te rassurer. Te dire que je t'aimais. Parce que c'était le cas, ça l'est toujours mais je… j..j'avais peur Beth . Putain, si tu savais… je…

Une larme roule sur ma joue. Je sens que je craque. Les visages de mes amis sont plus présents que jamais dans mon esprit . Je ne devrais pas pleurer. Et pourtant, ces larmes sont là pour me rappeler ceux qui ne sont plus…