e monde ne tourne plus rond. Vraiment, je n'arrive plus à me décider : soit plus rien ne m'étonnera jamais, soit tout continue de tellement m'étonner que j'en suis devenu comme blasé. Je ne sais pas. J'hésite encore.

Mais si ma vie personnelle est un grand foutoir auquel j'ai dû mal à encore m'identifier depuis la révélation qui m'est tombée dessus - vous savez, cet ami que j'ai pleuré pendant deux ans avant qu'il ne repointe le bout de son nez bel et bien vivant en espérant que je lui saute au cou ? -, il faut que je continue de garder la tête froide. Pour mon boulot. Pour le garder, surtout, moi qui n'ai plus jamais réussi à garder un job plus de trois mois depuis mon retour d'Afghanistan. D'autant que j'aime ce que je fais, pour une fois. L'adrénaline de l'ambulance. Ne jamais savoir ce qui arrivera dans deux heures. Oui, j'aime ça.

Pour l'instant, cependant, il est l'heure de rentrer chez moi après quarante-huit heures de garde. Et je ne sais pas, je me sens... vide, crevé, blasé. Je n'ai même pas envie de rentrer chez moi pour dormir alors que je n'ai qu'une demi-heure d'un demi-sommeil dans les dents depuis ces dernières quarante-huit heures. Alors, quand je croise la fille d'une de mes collègues sur le parking, je ne sais pas trop ce qu'il me prend, mais malgré la pluie qui commence à battre, je détourne mes pas et me dirige vers la demoiselle, m'acroupissant pour être à sa hauteur :

- Hello, Amber. A quoi tu joues ?

Ah, oui, c'est complètement ridicule, je sais. Je connais à peine cette demoiselle. On a l'habitude de la croiser dans les couloirs de l'hôpital, et je l'aime bien, cette gamine. En réalité, j'aimerais bien avoir un enfant. Ne manque plus qu'à trouver la mère, ce qui n'est pas gagné.

- Tu sais qui je suis, mmh ?

Au cas où. Qu'elle ne me prenne pas pour un fou.

La pluie se fait de plus en plus forte et je tends la main vers la petite blonde :

- Ne reste pas sous la pluie, tu vas attraper froid. Je te raccompagne à l'intérieur, tu veux ?

n sourire se dessine sur mon visage. Adorable, cette gamine, je vous dis. Et effectivement, elle n'a pas tort sur mon compte. Sans même connaître mon nom, elle sait que je suis médecin et même le supérieur hiérarchique de sa mère. De quoi m'impressionner. Je lui adresse une moue impressionnée avant de me présenter :

- Bien vu ! Je suis le Docteur Atkins, mais tu peux m'appeler Charlie, je ne t'en voudrai pas.

Charlie. Drôle de nom pour un médecin, je me suis toujours fait la réflexion. Ca fait tellement... enfantin, comme prénom. Enfin, soit. La pluie se met à tomber à cordes et je tends la main à la demoiselle pour qu'elle rentre se mettre à l'abri. Et vu la température de sa main, j'ai bien fait : elle est brûlante.

- Allez, on y va, je susurre en l'emmenant vers le hall de l'hôpital.

Mais voilà qu'elle me demande si je suis fatigué. A croire que mes cernes sont aussi profondes que le sommeil dans lequel je vais sombrer sans peine en posant la tête sur l'oreiller. Je ris doucement.

- Très fatigué. Je n'ai pas beaucoup dormi, cette nuit.

La chaleur étouffante du hall m'assaille. Elle contraste bien trop avec le froid mordant de l'extérieur, mais il vaut mieux ça que rester sous la pluie, n'est-ce pas ?

- Tu as un endroit où attendre ta maman, d'habitude ?

on doudou s'appelle Charlie. Je laisse échapper un rire tant la situation est ridicule. Je vous parlais un peu plus tôt du manque de crédibilité de mon prénom ? En voici la preuve. Bien que, ça reste mignon. Tous les gosses sont mignons, encore plus particulièrement depuis quelques mois, parce que ça me démange de plus en plus. Enfin soit. On n'en est pas à mes envies d'adoption pour l'instant, mais plutôt à la petite blonde face à moi.

- Je ne peux qu'approuver ce choix de prénom ! Enchanté, Charlie, tu as un très joli prénom.

Je joue le jeu, ça m'amuse. Même si mon vocabulaire n'a rien d'adapté pour un enfant de son âge, je n'y pense même pas. En réalité, je pourrais encore lui parler sciences et médecine que ça ne me choquerait pas. Et je n'y peux rien si je ne suis pas doué.

Mais alors qu'il pleut des cordes, je propose à Amber de la ramener à l'intérieur. Elle ne semble déjà pas très bien, autant éviter qu'elle soit encore plus malade. Pourtant, alors qu'elle est toute fiévreuse, c'est de mon état de fatigue que la demoiselle s'inquiète.

- Avec plaisir, Amber. Mais si tu me chantes une berceuse, je risquerais de m'endormir debout et t'abandonner à ton triste sort. J'adorerais entendre tes talents de chanteuse, cela dit !

Pauvre gosse. Avec du recul, je me dis qu'elle ne doit pas comprendre la moitié de ce que je raconte, avec mes métaphores et mon vocabulaire. Bon, je vais reporter mes plans d'adoptions à plus tard, je pense. Car même si les enfants ne sont pas des gagas à ménager à tout prix, il y a tout de même moyen de le faire sans les exposer aussi jeunes à un dictionnaire...

- Ca, c'est gentil de ta part ! Je vais attendre un peu avec toi que le monsieur se réveille, si tu veux. Comme ça, tu pourras aller attendre ta maman en toute sécurité dans la salle de repos, après.

Je suis mort de fatigue, mais la perspective d'une enfant si jeune laissée seule ne me va pas. Pourtant, j'ai l'habitude de la voir gambader dans l'hôpital... Quand je vous dit que j'ai un problème, ces derniers temps !

e prénom des gentils. Elle m'arrache un sourire alors que je repense à ce qu'il s'était passé quelques jours plus tôt à peine, moi écrasant le nez d'un Andrew qui jouait les étonnés. Gentils, oui. D'une certaine manière.

- Tu trouves ? Amber est aussi un prénom de gentilles personnes, tu sais !

Voilà. Ne plus attirer l'attention sur moi. Je l'attire à l'intérieur, elle est brûlante mais c'est encore de moi qu'elle décide de parler. Elle me fait rire, j'aime bien cette gamine, vraiment. Elle fait partie des gosses qui me donnent envie d'en avoir.

- Je suis un terrible chanteur. Mais je serais ravi de t'entendre !

Et voilà qu'elle me tend un bonbon en me disant que je me sentirai mieux. Excellente, vraiment. Je la remercie d'un signe de tête avant de le fourrer dans ma bouche. Mine de rien, j'ai besoin de sucre, elle a raison.

- Merci beaucoup !

Sauf que... tout dégringole en quelques secondes. Voilà que la petite Amber a juste le temps de courir vers la poubelle la plus proche et... vide littéralement le contenu de son estomac dedans. Et malheureusement, on ne peut pas y faire grand chose, à part la débarbouiller un peu et la faire boire de l'eau. Je m'approche d'elle tout de même pour la rassurer en attendant que ses hauts-le-coeur se calment, puis lui propose de s'asseoir.

- Comment ça va ? Tu veux un verre d'eau ?

e m'inquiète pour la demoiselle. Je sais que ce n'est rien de grave, qu'elle ne semble pas couver quoi que ce soit et qu'il s'agit probablement d'un simple malaise passager, il n'en reste pas moins que c'est arrivé très... spontanément. Et que je ne m'y attendais pas.

Elle a mal au ventre mais me demande de ne pas en parler... A cela, je fronce légèrement les sourcils avant de lancer :

- D'abord, on va attendre de voir si ça passe. Et si ça passe, c'est promis, je n'en parlerai pas.

Mais c'est plus fort que moi, je me sens obligé d'établir un diagnostic, parce que... tout d'abord, s'il lui arrive quoi que ce soit sans que j'aie fait mon possible, et bien j'en serai responsable. Et puis aussi parce que je serais incapable de ne pas aller voir plus loin.

- Ca fait longtemps que tu as mal au ventre ?